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ABSTRACTS

“Borne to the Amazement of all those that were Spectators”

Lazarus-Giovan Battista Colloredo and Barbara Urslerin: 

Monsters on Show in Early Modern England

  • Luca BARATTA (Université de Florence)

 

In early modern England, as well as in other European countries, people born with appalling congenital deformities were regularly displayed for money. Paraded not only in the courts but also in taverns and coffeehouses, these ‘strange creatures’ – in the words of two contemporaries, John Evelyn and Samuel Pepys – were a particularly appreciated form of popular entertainment. 

 

This tradition has an important antecedent: some printed accounts of the second half of the sixteenth century witness the practice of exhibiting the corpses of monstrous children even during their burial. Some Elizabethan and Jacobean protestant ministers had realized in fact how extraordinary communicative and persuasive those malformed bodies, forced to ‘signify the wrath of God, could be. This was the reason that led these clergymen to exploit them, corpore praesenti, in real ‘funeral shows’ (to this antecedent will be devoted the first part of my paper). 

 

Starting from the third decade of the seventeenth century, these early ‘macabre’ exhibitions evolved into fairs and marketplaces irremediably packed with monsters: males and females with physical malformations, who were put on show by their relatives, or, quite often, spontaneously and independently decided to show themselves, in order to profit of their unlucky condition. 

 

In the second part of my presentation, I will chronicle as closely as possible the lives of two of these ‘famous’ monsters, Lazarus-Giovan Battista Colloredo (parasitic-twins) and Barbara Urslerin (hairy woman), whose incredible bodies and talents attracted huge crowds in London between 1637 and 1657. All the information about their lives will be derived from two groups of sources: on one hand, from some of the most significant anatomical treatises of the seventeenth century (i. e. Fortinio Liceti’s De monstruorum natura, caussis, natura, et differentiis libri and Thomas Bartholin’s Historiarum anatomicarum rariorum centuria I et II); on the other one, from less formalized printed materials such as broadsheets, pamphlets e diaries of English, French, German and Italian origin. 

 

From the excursus outlined in the presentation it will emerge that the exceptionality of the ‘Italian boy pregnant with his Brother’ and ‘the Hairy Maid who played well at the Harpsichord’ did not lie in their physical ugliness, which attracted enormous throngs when exhibited, but in their attempt to redeem themselves from their cruel destiny.

 

Biographie

Luca Baratta obtained his PhD in Comparative Languages, Literatures and Cultures from the University of Florence in 2015 with a dissertation titled ‘Monstrum, Prodigium, Portetum’: Monstrous Births in the Street Literature of Early Modern England (Advisor: Professor Donatella Pallotti). 

After two scholarships (Berlin, Humboldt Universität and Univ. of Krakowia), he is currently Teaching assistant of English Literature at the University of Florence.

He has been a Member of the editorial board of Journal of Early Modern Studies (JEMS) since 2012.

His research interests (5 papers published or being printed) are mainly devoted to the cultural history of early modern England.

 

« All I know is that I'm alive. Well, I'm not dead anyway » :

le monstre impensable dans American Desert, de Percival Everett

  • Sylvie BAUER (Université de Rennes 2)

 

American Desert s'ouvre sur la mort ironique de son personnage principal et narrateur qui, parti se suicider, est tué dans un accident de voiture. Sa tête, séparée de son tronc, est recousue grossièrement avec du fil de pèche. Lors de ses funérailles, il se dresse dans son cercueil, causant l'effroi, l'horreur, la panique. Cette résurrection le transforme en monstre, en aberration scientifique et religieuse, en un être qui défie toute forme de reconnaissance, en une bête curieuse qu'on peine à identifier. Aucun discours ne parvient à le saisir : tantôt considéré comme le messie ressuscité, tantôt comme l'Antéchrist, Theodore Street est pourchassé, disséqué, transformé par l'armée en corps sans organes, dans une lecture littérale de Deleuze. Le roman, véritable défilé de figures monstrueuses, se déroule alors sur un mode comique, tout en étant une méditation tant sur l'Amérique contemporaine que sur la définition de l'humain. C'est cette brèche dans la reconnaissance, cette impossible identification qui instaure l'altérité radicale qui tout à la fois pose la question de l'humain et crée le monstre. Si le fil qui relie sa tête à son corps fait penser aux bricolages d'un Victor Frankenstein, si le statut – ni vivant ni mort – du personnage évoque les morts-vivants hérités de la littérature du 19ème siècle, il n'en reste pas moins que l'indécidable domine et que l'identification générique du texte échappe à toute classification pré-établie, suscitant tout à la fois l'immédiate reconnaissance de la référence et son inéluctable altérité. Les hésitations des personnages confrontés à ce monstre se reflètent dans les hésitations du texte et d'un récit qui, quoique narré par le personnage principal, se fait à la troisième personne, comme pour accentuer la distance établie par l'impensable à l'origine du roman. Au-delà, et de manière concomitante, se pose la question du sens, dans un texte qui, littéralement perd la tête, lorsque l'écart irréductible entre signifiant et signifié s'exhibe par le biais de points de suture littéraux et figurés, lorsque le monstre – le personnage, mais aussi et surtout le texte – fait effet d'effraction dans le réel.

 

Biographie

Sylvie Bauer est professeur de littérature américaine à l'Université Rennes 2. Son travail de recherche porte plus précisément sur la littérature contemporaine. Elle est l'auteur d'une monographie sur l'œuvre de Walter Abish (Walter Abish, l'arpenteur du langage, Belin, 2003) et d'articles sur les romans de Percival Everett, Colson Whitehead, Donald Barthelme, Steve Tomasula, Philip Roth, Grace Paley, Don DeLillo, Walter Abish...

 

Méduse à l’épreuve des affects : Iconologie interartiale des figures monstrueuses radicales

  • Guillaume BAYCHELIER (Université Panthéon-Sorbonne Paris 1)

 

Le modèle de la Tête de Méduse[1] de Rubens ouvre le champ d’une capture du regard par le monstrueux se faisant selon des modalités distinctes de celles associées habituellement aux figures méduséennes, et dont il reste à mesurer l’incidence. En effet, le jeu qui se joue ici est celui de stratégies de regard s’offrant potentiellement comme modes de dépassement du figuré et dont l’analyse s’avère heuristique en tant qu’elle permet d’éclairer sous un jour nouveau la relation du regardeur aux représentations monstrueuses, permettant ainsi de requalifier les figures monstrueuses et d’en réaffirmer l’efficace : l’impression monstre.

 

La Tête de Méduse de Rubens interroge avec force le lien au regard et à sa capture, selon des modalités distinctes de celles de l’iconographie traditionnelle de Méduse. Dans ses modes de représentation dominants, Méduse est envisagée comme masque mortel dont il paraît impossible d’affronter le regard, tant il est à la fois abominable et séduisant, définitivement paralysant. Pensée à l’aune des Métamorphoses d’Ovide[2], la Tête de Méduse de Rubens permet de remettre en question ce modèle en tant que le regard de Méduse est décisif dans le saisissement accompli par cette figure monstrueuse. Inhabituelle, cette peinture ne présente que partiellement la face du monstre détachée de son corps. Méduse n’offre à la vue qu’un regard de biais (en lien avec la mètis de Persée[3]) et borgne, presque inopérant. L’œil unique du monstre, et en lui, la vision hypostasiée, est révélé comme outil de son propre effacement. Il permet au spectateur de se confronter à la terribilità du monstre désarmé, d’en éviter le péril et surtout d’échapper à une stupeur incapacitante, à la pétrification.

 

Cependant, par la perte du regard du monstre et l’ouverture du champ de vision du spectateur, c’est paradoxalement la force même du monstre qui est exhibée, en tant qu’il est rendu à sa matérialité la plus brute et qu’il convoque, dès lors, des affects radicalisés. La Tête de Méduse de Rubens éprouve puissamment le regard du spectateur en osant la représentation directe de l’organique (à la fois humain et animal, interstitiel, souillé) jusqu’à l’assurance du dégoût. Le monstre-tête apparaît comme contenant (opaque et obscur) déversant de lui-même son contenu hideux, faisant de sa terribilità la matière même de son engeance. Ce que dessine en creux cette tête-monstre, c’est la possibilité de la génération continue du monstrueux au delà de la figure iconographique même, et avec elle, la génération d’affects radicalisés dont l’expression ne serait pas limitée par le choc immédiat de la rencontre avec le figuré.

 

Cette tête de Méduse porte également avec elle la « puissance d’écart[4] » des représentations monstrueuses, dont la force permet de mesurer l’incidence des figures monstrueuses et leur capacité à mobiliser des affects puissants. C’est précisément cette puissance d’affects sur laquelle repose l’efficace des monstres constituant la population la plus essentielle des jeux vidéo horrifiques (faisant de la fréquentation éprouvante de leur iconographie radicale un enjeu de leurs modalités ludiques). À l’instar des monstres biologiques dont elles réactualisent les angoisses associées aux  types tératologiques[5], ces créatures radicales constituent un accès éprouvant à une chair captant le regard dans le déploiement de « l’ombre du corps » décrite par Pierre Ancet[6]. Elles soumettent le regardeur à l’attraction paradoxale de l’irregardable s’articulant à un dégoût ne pouvant être feint. De par son caractère dégoûtant, la représentation des corps monstrueux offre le spectacle d’une image qui, pour reprendre la formule de Hubert Damisch, « n’est pas, d’abord, un parcours du regard, mais sa capture[7] ». Du fait de sa radicalité, l’iconographie horrifique impose sa puissance organique et, dès lors, génère un conflit perceptuel dont le principe est à même de captiver : le regard s’attarde malgré lui à la surface de l’image offrant la vision de corps frappés d’impouvoir.

 

En écho à l’impossible saisissement auquel est condamnée la figure borgne peinte par Rubens, un conflit naît ici de la friction entre capture et dessaisissement du regard : mouvement d’adhérence et de répulsion propre à l’expérience de la rencontre radicale avec les monstres tératologiques. Dès lors, une stratégie de regard s’impose, impliquant la mise en œuvre d’un procès actif dont le gain immédiat serait la possibilité de se confronter à cette iconographie. Semble alors s’évanouir le risque d’être submergé par les affects qu’elle génère, permettant, en particulier, de pouvoir se saisir positivement des constituants plastiques de l’image et ainsi se protéger partiellement de la puissance du figuré.

Face à ces figures, s’organise une circulation du regard complexe et dynamique dont le ressort est de faire échapper à l’expérience de la sidération afin de refocaliser le spectateur (actif dans l’image) sur l’action elle-même. La fonction des figures monstrueuses radicales est de mobiliser des affects puissants à travers une pratique dont l’enjeu principal reste l’actualisation du drama, de l’action (et avec elle, du schéma narratif, des ressorts dramatiques). La relation au dispositif vidéoludique ne peut s’envisager à travers la passivité, la stase ou la stupéfaction. En cela, l’ambivalence de la Méduse cyclopéenne de Rubens se voit prolongée et sa valeur méthodologique confirmée.

 

L’enjeu de cette iconographie horrifique est donc, sur le modèle offert par notre lecture iconologique de Rubens, de conduire à un choc à même de mobiliser le regard sans l’interdire — ce qui reviendrait à nier le principe même d’interaction au cœur de l’entreprise vidéoludique. Par un regard interartial propice au jeu d’une « intericonicité[8] » dont les effets de rémanence s’avèrent fertiles, il s’agit d’observer en quoi la représentation des monstres semble déterminer des stratégies de regard qui semblent d’autant plus nécessaires que ces représentations se font radicales.

[1] Pierre-Paul Rubens, Tête de Méduse, vers 1617-1618, huile sur toile, 68,5 x 118 cm.

[2] Ovide, Les Métamorphoses, trad. Georges Lafaye, Gallimard, 1992, IV, p. 155.

[3] Louis Marin, Détruire la peinture, Éditions Flammarion, 1997, p. 150-151.

[4] Michel Ribon, Archipel de la laideur. Essai sur l’art et la laideur, Éditions Kimé, 1995, p. 10.

[5] Les monstres des jeux vidéo horrifiques s’animent en marge des catégories établies par Lascault. Ces corps entravés et promis à la dissolution, relèvent du monstrueux au sens qu’en donne Canguilhem (Georges Canguilhem, « La monstruosité et le monstrueux », in La connaissance de la vie, Librairie philosophique J. VRIN, 2009, p. 221). Distincts des créatures chimériques, ces corps non-viables (parce que parasités, ouverts ou mutants), ressortissent aux catégories de la tératologie fondée par Geoffroy Saint-Hilaire au XIXème siècle et font écho à l’intuition d’Huysmans cherchant dans le médical l’opportunité d’un renouveau pour le monstre en art (Joris-Karl Huysmans, « Le Monstre », in Félicien Rops suivi de Le Monstre, Éditions Marguerite Waknine, 2014, p. 40). Les angoisses associées aux types tératologiques sont directrices dans la constitution des bestiaires de jeux vidéo comme Silent Hill 2 (Konami CE Tokyo, 2001), Dead Space (Visceral Games, 2008) ou encore Outlast (Red Barrels, 2013). 

[6] Pierre Ancet, « L’ombre du corps monstrueux », in La figure du monstre. Phénoménologie de la monstruosité dans l'imaginaire contemporain, ss la dir. de Didier Manuel, Presses Universitaires de Nancy, 2009, p 28.

[7] Hubert Damisch, L’origine de la perspective, Flammarion 1987, 1993, 2012, p. 284.

[8] Bernard Lamizet, Article « Intericonicité », in 100 notions pour l’art numérique, (dir.) Marc Veyrat, Les Éditions de l’immatériel, 2015, p. 149-150 : « L’intericonicité désigne l’association mise en œuvre au cours de la lecture d’une image entre cette image et d’autres, inscrites dans la culture du lecteur ou dans celle de son concepteur. L’intericonicité articule (…) l’inscription de l’autre dans l’œuvre, qu’il s’agisse de la mémoire d’autres œuvres, dont peut être porteur l’auteur au moment de la création, ou de celle des œuvres dont peut être porteur le lecteur au moment de donner sens à l’œuvre. La mémoire est l’inscription de l’autre dans le temps et dans l’histoire dont est porteur le sujet quand il met en œuvre son expérience esthétique. L’effet de rémanence est donc au cœur du processus d’intericonicité ».

 

Biographie

Guillaume Baychelier est professeur Agrégé d’arts plastiques et artiste plasticien vidéaste. Ses recherches dans le cadre de l’Institut ACTE à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (thèse sous la direction d’Isabelle Rieusset-Lemarié) sont consacrées aux « dispositifs de contrainte : iconologie interartiale et vidéoludique des corps monstrueux ». A publié récemment deux articles liés à ce champ de recherches : « Des plaisirs de la chair vidéoludique. Plasticité des corps monstrueux et image numérique » et « Jeux vidéo horrifiques et artialisation des émotions extrêmes ».

 

Entre pharmakos et pharmakon :

le monstre et le retour du réel dans Invisible Monsters Remix de Chuck Palahniuk

  • Isabelle BOOF-VERMESSE (Université de Lille 3)

 

Invisible Monsters porte dans son titre même la dualité pharmacologique du monstre : arrivée au stade ultime du biopouvoir et du psychopouvoir du capitalisme tardif (que Stiegler appelle « hyperindustrialisme » car pour lui il n’a rien d’immatériel) l’époque contemporaine ne propose au sujet que la servitude volontaire et la quête désespérée de l’attention dans un environnement aplati par le culte de l’image. L’esthétisation du monde a conduit à une forme d’anesthésie. 

Modèle professionnel, Shannon décide de détruire sa beauté  par l’automutilation, mal/remède familier aux lecteurs de Palahniuk : désormais défigurée, la partie inférieure de son visage emportée, les os et la langue à vif, elle est devenue une sorte de trou noir autour duquel tourbillonnent les regards terrifiés incapables de se poser sur elle.  

Invisible Monsters propose une variation postmoderne du monstre comme destruction et reconstruction : depuis l’Antiquité, le monstre, comme Cerbère, rôde aux abords des lieux de passage  : « le monstre, en tant qu’hybride, est un être discontinu et qui pourtant organise la continuité parce qu’il tisse des liens entre les divers aspects de ce qui constitue l’humain » (Nastasi ) ; à la fois rupture absolue avec le connu et pont vers l’inconnu, le monstre rejeté  ouvre en pionnier un nouvel espace au visible, et, pourrait-on dire en utilisant un mot-monstre, au « vécable », ce qui vaut la peine d’ être vécu. « Transgression cathartique » (Palahniuk) à la fois au niveau intradiégétique et à celui du lecteur/ice, la violence de la laideur secoue l’anesthésie et ouvre la voie à la quête de l’authenticité. La disgrâce est une grâce qui porte remède à la perte du sentiment d’exister. 

La communication s’attachera à inscrire IM dans une stratégie communicationnelle et pragmatique et non seulement expressive, en étudiant de façon privilégiée le texte comme monstre ;  la forme narrative même du roman dans sa deuxième version, Invisible Monsters Remix va au-delà de la simple représentation de la monstruosité comme incomplétude pour mettre en acte sa propre décomposition : hyperparodie (Collado-Rodriguez), pseudo-picaresque avec déplacements erratiques et transsexualité généralisée, dispositifs interactifs de lecture avec sauts de chapitres et suppléments cachés,  récit luttant contre le pouvoir de l’image en adoptant ses procédés mêmes (présent de description, impératifs imitant les invitations des photographes à prendre telle ou telle pose, fausses hypotyposes ou modulations sur l’ekphrasis renvoyant au contenu de magazines de mode  ou de décoration), humour noir, affects intempestifs dictés par la prise de drogues ou d’hormones…, le roman lui-même s’affiche comme un monstre : cabossé, incomplet, chaotique, il invite le lecteur/ice à emprunter une stratégie d’allers retours qui empêchent non seulement tout espoir de clôture narrative mais plus largement toute linéarité ou téléologie ou même tout « développement » narratif. Invisible Monsters est avant tout une aventure de lecture, ou, pour reprendre l’expression de la protagoniste-pharmakos, une vaste « erreur » (comme événement dont on ne peut plus revenir).  La pharmacologie du bouc  émissaire (Stiegler) peut alors être administrée au lecteur  via  le double de Shannon, son frère Shane, devenu Princess Brandy Alexander :   l’addiction à l’image et au regard est un poison qui se renverse  en remède dans la mise en scène flamboyante de sa propre monstruosité. 

 

Bibliographie 

COLLADO-RODRIGUEZ. Francisco, introduction, Chuck Palahniuk : Fight Club, Invisible Monsters, Choke. London & New York: Bloomsbury, 2013. 

NASTASI,  Antoine. «  Le Passage et le monstre », Communications, année   2004, n°76,   pp. 147-158.

PALAHNIUK, Chuck. Invisible Monsters Remix. New York & London : Norton, 2012. 

« Monkey Think, Monkey Do », Stranger Than Fiction: true Stories. New York: Doubleday, 2004. 

STIEGLER, Bernard. Ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue : de la pharmacologie. Paris : Flammarion, 2010. 

 

Biographie

Isabelle Boof-Vermesse est MCF à l'université de Lille. Ancienne élève de l'ENS de Fontenay-St Cloud, agrégée d'anglais, elle est spécialiste du roman policier californien et a publié de nombreux articles sur Raymond Chandler, Dashiell Hammett et James Ellroy. Ses travaux de recherche actuels  portent sur le genre cyberpunk,  en particulier sur la question de l'espace virtuel et des pratiques artistiques chez William Gibson. Plusieurs articles publiés sur Flannery O'Connor témoignent également de son intérêt pour le mode du grotesque.

 

Diversité humaine ou signes de monstruosité ?

Les races d’hommes monstrueux

  • Jean CÉARD (Université Paris X-Nanterre)

 

La croyance en des races d’hommes monstrueux est fort ancienne. Sans parler des Cyclopes et des Pygmées d’Homère, on sait qu’il circule depuis l’Antiquité des listes de races d’hommes monstrueux, de « gentium mirabiles figurae », dont les plus connues sont celles d’Hérodote et de Pline. Ces races sont situées dans un présent indéterminé et en des lieux à la fois immenses et indéfinis.

Outre la question de savoir si elles existent vraiment, question qui oriente même la transmission des textes, se pose à leur occasion la question de leur raison d’être. Pour Pline, elles sont l’une des manifestations de la variété naturelle. C’est saint Augustin qui les associe pour des siècles à une représentation de la nature qui valorise son agencement harmonieux en même temps qu’elle met en correspondance ces « hommes d’étrange figure » et les monstres individuels qui naissent parmi nous. A l’aube de la Renaissance, diverses chroniques universelles, forçant la pensée d’Augustin, les mettent en relation avec Babel. Puis s’élabore une philosophie de la nature qui refuse de considérer que la monstruosité puisse être transmissible, avant que l’idée augustinienne de beauté harmonieuse soit déchargée de la monstruosité et que ce que l’on avait longtemps considéré comme les signes du monstrueux fasse l’objet d’un examen critique qui fait leur part à l’apparence et à l’illusion.

Il ne reste plus aux races monstrueuses que d’être lues comme des métaphores, ou de nourrir le fantastique.

 

Bibliographie

Conrad Lycosthenes, Prodigiorum ac ostentorum chronicon, quae praeter naturae ordinem, et in superioribus et his inferioribus mundi regionibus, ab exordio mundi usque ad haec nostra tempora acciderunt. Basileae per H. Petri, fol.

Ambroise Paré, Des monstres et prodiges, éd. critique et commentée, Genève, Droz, 1971.

Ulisse Aldrovandi, Monstrorum Historia, rééd. Paris, Les Belles Lettres et Nino Aragno Editore, 2002,

Jean Céard, La nature et les prodiges, L’insolite au XVIe siècle en France Genève, Droz, 1977 ; 2e éd., 1996.

 

Biographie

Jean Céard, né en 1936, ancien élève de l’École Normale Supérieure, Agrégé des Lettres, Docteur de l’Université de Paris, Docteur ès Lettres, est professeur honoraire de littérature française de la Renaissance à l’Université de Paris-Ouest Nanterre La Défense, où il a dirigé l’Ecole Doctorale “Lettres, Langages, Civilisations”. Il est, d’autre part, conseiller scientifique de la Section de l'Humanisme de l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes (CNRS). Il a présidé le Conseil de perfectionnement du Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance (C.E.S.R.), de l'Université de Tours, la Commission des Littératures classiques du Centre National du Livre, la Société Française d’Etude du Seizième Siècle. Il est membre du comité de rédaction de la Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, membre du comité de lecture des “Textes Littéraires Français” (Genève, Librairie Droz), vice-président de la Société des Textes Français Modernes (S.T.F.M.), secrétaire général adjoint de l’Association Guillaume-Budé. Ses collègues lui ont offert en 2008 des mélanges intitulés Esculape et Dionysos (Droz, 1176 p.).

Derniers travaux :

Ed. Pierre Boaistuau, Histoires prodigieuses, Genève, Droz, 2010, 968 p. (en collab.).

Ed. Pontus de Tyard, Le Premier Curieux, Paris, Classiques Garnier, 2010, 306 p. 

Ed. Pontus de Tyard, Mantice, Paris, Classiques Garnier, 2014, 231 p.

Ed. Guy Lefèvre de la Boderie, Hymnes ecclésiastiques, Genève, Droz, 2014, 568 p. (en collab.).

 

Les Morticoles de Léon Daudet ou les monstres en otage

  • Jean-François CHASSAY (Université de Montréal UQAM)

 

Léon Daudet propose dans la dystopie intitulée Les Morticoles, publiée en 1894, une charge haineuse contre le mandarinat des médecins et leur pouvoir. Ce faisant, il aborde la monstruosité de différentes manières. Entre la critique de l’eugénisme et celle du positivisme, se voit dénoncer dans le roman le rejet de « l’anomalie » qui se traduit souvent par une haine de classe ou le mépris de l’étranger, sous couvert de diagnostic scientifique. Les monstres sont partout, y compris parfois chez le narrateur qui, malgré ses dénonciations, ne manque pas parfois de tenir des propos ambigus.

 

Biographie

Jean-François Chassay est professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal depuis 1991. Intéressé par les discours scientifiques et leurs manifestations dans la fiction, il a publié plusieurs essais sur le sujet, dans des perspectives à la fois épistémocritiques et sociocritiques. Il est l’auteur de plus de vingt livres (essais, fictions et anthologies). Derniers titres parus : Le monstre au bistouri, aux éditions du Murmure à Dijon en 2014, puis Requiem pour un couple épuisant et autres nouvelles ainsi qu’un essai, Les livres curieux, tous deux aux éditions Leméac à Montréal en 2015.

 

Les monstres prometteurs

  • Elaine DESPRÉS (Université de Montréal UdeM)

 

Même en se limitant à sa dimension uniquement physique, la monstruosité humaine peut prendre de nombreuses formes et significations symboliques. Des « gueules cassées » aux phocomèles, en passant par les hermaphrodites et les hibakusha, il y a un monde. Certains ont subi des guerres qui ont laissé leurs corps marqués, d’autres ont été victimes de malformations congénitales, et d’autres encore portent dans leurs gènes la différence qui les attend. Dans tous les cas, les causes peuvent être naturelles ou anthropiques, et les conséquences individuelles ou collectives, mais très rares sont ceux où la monstruosité est perçue comme positive, voire bénéfique. Or, on peut observer une dynamique similaire dans la nature : les naissances mutantes sont nombreuses, mais la très grande majorité des mutations sont nuisibles ou neutres, laissant une infime part de « monstres prometteurs » (hopeful monsters), pour reprendre l’expression du généticien Richard Goldschmidt(1). Sa théorie, souvent qualifiée d’« hérétique » par le milieu scientifique, est pourtant un point de départ fertile pour les auteurs de (science-)fiction qui réfléchissent au devenir humain. Alors que les Japonais subissent encore les contrecoups génétiques des bombes nucléaires et que les victimes de la thalidomide obtiennent de nouvelles compensations financières, plusieurs romans post-apocalyptiques imaginent une société où les mutations seraient généralisées. Or, dans quelques cas, celles-ci seraient porteuses d’espoir. Si, suivant Goldschmidt, certaines mutations peuvent agir comme un moteur de l’évolution des espèces, pourquoi n’en serait-il pas de même pour une société en déliquescence ? On voit alors apparaître des individus dont les traits monstrueux sont perçus comme des apports décisifs pour la survie de l’espèce. Or, l’émergence de personnes considérées génétiquement supérieures à la norme a également pour conséquence l’instauration d’une nouvelle forme d’aristocratie de sang, tel que le souligne Thierry Hoquet dans sa typologie des presque-humains(2).

 

Dans le cadre de cette communication, je tenterai de montrer comment le contexte post-apocalyptique permet le développement de la figure du monstre positif, tant sur le plan biologique que social, à partir de la théorie des monstres prometteurs de Richard Goldschmidt et celle du mutant aristocrate de Thierry Hoquet. Il s’agira donc d’étudier l’utilisation du discours scientifique (sur la mutation, la radioactivité, l’hérédité, l’évolution) et de certains champs lexicaux axiologiquement marqués pour décrire la monstruosité, mais aussi la construction des personnages de mutants et la représentation des mécanismes sociaux qui en gèrent l’émergence (eugénisme, infanticide, exclusion, intégration, ghettoïsation, etc.). Je me pencherai en particulier sur le roman Twilight World de Poul Anderson (1961), dans lequel des particules radioactives dues à une guerre mondiale provoquent la naissance d’une génération de mutants, dont une élite émerge, sélectionnée pour assurer l’avenir de l’humanité sur Mars. J’évoquerai également des œuvres telles que Le silence de la cité d’Élizabeth Vonarburg (1981), Galapàgos de Kurt Vonnegut (1985), Les derniers hommes de Pierre Bordage (2000), de même que quelques fictions cinématographiques et télévisuelles contemporaines.

[1]  Richard Goldschmidt, The Material Basis of Evolution, New Haven, Yale University Press, 1940, 436 p.

[2] Thierry Hoquet, « Cyborg, mutant, robot, etc. : Essai de typologie des presque-humains », in Élaine Després et Hélène Machinal (dir.), PostHumains : frontières, évolutions, hybridités, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 99-118.

 

Biographie

Elaine Després est stagiaire postdoctorale à l’Université de Montréal où elle étudie les discours écologistes et l’imaginaire de la catastrophe dans les récits post-apocalyptiques. À la suite de sa thèse portant sur le savant fou en tant que figure littéraire de l’éthique, qui sera d’ailleurs publiée en 2015 au Quartanier, elle a fait un premier stage postdoctoral à Brest sur l’utilisation de théories évolutionnistes dans les représentations du posthumain. Elle a publié plusieurs articles notamment sur les œuvres de H.G. Wells, Maurice Renard, Margaret Atwood et Brian Aldiss, et elle a codirigé l’ouvrage PostHumains : frontières, évolutions, hybridités (Presses universitaires de Rennes, 2014). Ses recherches portent plus généralement sur la représentation fictionnelle de la science dans une perspective sociale et épistémique.

 

« That sweet marble monster of both sexes »: 

Aesthetic Monsters in P.B. Shelley’s Ekphrases

  • Fabien DESSET (Université de Limoges)

 

Associating monsters and the name of Shelley inevitably suggests Mary Shelley and her masterpiece Frankenstein (1819), but the focus of this study will be on her husband and more particularly the monsters he saw in painting and sculpture, and then used in his poetry, usually after describing them in his prose ekphrases, namely his letters written in Italy (in 1818-1819) and his ‘Notes on Sculptures’ (1819-1820). The Medusa of the painting then attributed to Leonardo is at once the more obvious example of aesthetic monsters described by Shelley (‘On the Medusa of Leonardo da Vinci in the Florentine Gallery’, 1819) and the most enlightening as to the poet’s vision of the creature and what is truly monstrous. The poem (there is no extant prose foretext) indeed explores the notions of monster and horror when referring to what is above all a woman and a victim, and shows shifts in focuses, as the Shelleyan spectator himself becomes the monster, through an identification or empathy with the beheaded snaky creature. Yet, there are many other aesthetic monsters that Shelley took the time to mention. Indeed, the word ‘monster’ does not necessarily refer to such ‘horrible forms’ as the Furies in ‘Prometheus Unbound’ (1818-1820), but also to more attractive androgynous creatures like the Sleeping Hermaphrodite in the Villa Borghese, ‘that sweet marble monster of both sexes’ to whom Shelley compared his beloved Emily in a draft of Epipsychidion (1822). 

The definition and identification of monsters in Shelley’s poetry is thus as complex as in his wife’s novel. This presentation will attempt to identify the different aspects of the monstrous in Shelley’s ekphrases and allusions to the visual arts, first by drawing up a typology of the different sorts of aesthetic monsters or monstrous representations described by Shelley, from Fuseli’s Nightmare (1790-91) to the Arabesques in Pompeii or the Baths of Titus, and then by focusing on their reflexive quality, like the Medusa and the Hermaphrodite, who also ‘show’ (monstrare) something about the poet.    

 

Biographie

Fabien Desset est Maître de Conférences à l’Université de Limoges. Sa thèse portait sur la réécriture transtextuelle de mythes dans l’œuvre de Percy Bysshe Shelley, notamment dans « Prometheus Unbound » (1820) et les traductions du Banquet (1818) et des Hymnes homériques (1818-1822). Il travaille actuellement sur un ouvrage traitant de l’ekphrasis et de l’art dans l’œuvre de Shelley, ce qui a déjà donné lieu à plusieurs articles, notamment  « Shelley’s Uneasiness about Colour in his Poetry and Ekphrasis » (2013), « La jouissance dans l’horreur : Shelley face à la Méduse » (2011), « Hypertextual Transpositions of Prometheus Bound in “Prometheus Unbound”, Act 1 » (2010) et « La légitimité du mythe dans la perception romantique de l’univers : les théories de P.B. Shelley » (2009). Il travaille au sein de l’Equipe d’Accueil Espaces Humains et Interactions Interculturelles (EHIC) et de la Société d’Etude du Romantisme Anglais (SERA). Il a également co-organisé le 52ème congrès de la SAES, tenu à Limoges les 10 et 11 mai 2012, et édité Transparence romantique (Limoges: PULIM, 2014).

 

« Monstration »

  • Valérie ETTER (Université de Strasbourg)

 

Les corps surprenants ont toujours été objets de curiosité : dans l’histoire du corps, tout écart au canon de beauté a été impitoyablement relégué au rang de « curiosité », de monstruosité. Pourtant, ces corps différents sont devenus des modèles pour certains artistes contemporains qui utilisent leur capacité de provocation du regard. Ainsi, l’artiste britannique Marc Quinn, par exemple, a réalisé en 1999-2000, une série de huit statues de marbre et à échelle humaine de personnes privées d’un ou plusieurs membres. Dans son œuvre Buck et Allanah (2009), il présente deux acteurs transsexuels de films pornographiques, en bronze à échelle humaine, tels des « monstres » de notre temps, temps ou le changement de sexe est possible grâce à des opérations de chirurgie esthétique et à des traitements hormonaux.

Notre communication se propose d’aborder le « corps monstre » à travers les œuvres d’artistes contemporains comme Marc Quinn (sculpture), Joel-Peter Witkin (photographie) ou Jenny Saville (peinture) qui utilisent des modèles « hors normes ». Nous nous intéresserons aussi au domaine de la mode ou les modèles moins « classiques » sont apparus ces deux dernières décennies, dans des photographies de Nick Knight, par exemple, ou avec la présence sur les podiums du mannequin Rick Genest (entièrement tatoué pour ressembler à un zombie). Nous verrons ainsi que la spécificité des arts visuels, qui est la production d’images, lorsqu’elle est associée à la thématique du monstre (que nous définirons), a le don de provoquer la sidération, déplaçant les habituelles définitions des concepts de laideur et de monstruosité.

 

Biographie

Valérie Etter est Docteure en Arts et également plasticienne. Chargée de cours à l'Université de Strasbourg, elle enseigne l'histoire de l'art et participe régulièrement à des expositions, des journées d'études, des workshops ou des conférences. Elle s'intéresse notamment aux représentations du corps au XXe siècle, aux relations entre art et médecine, au Monstre et à l'animal dans l'art contemporain (ce dernier thème était d'ailleurs le sujet de sa thèse).

 

De L’Emprise à Outer Space : le devenir-monstre du film

  • Francisco FERREIRA (Université de Poitiers)

 

L’Emprise (The Entity, 1982) est un film d’horreur relativement commun réalisé par Sydney J. Furie à partir d’un argument minimaliste : une jeune mère de famille y est inlassablement agressée par une entité invisible, jusqu’à ce que des scientifiques tentent de capturer la créature en déversant sur elle de l’hélium liquide, ce qui permet par la même occasion d’essayer de la donner à voir. Le film déploie ainsi toutes les stratégies traditionnelles de suggestion visuelle et sonore propres au fantastique de l’indétermination, le monstre n’apparaissant que comme la somme des indices incertains de sa présence paradoxale dans le plan – c’est-à-dire, en fait, celle des manifestations métonymiques que la mise en scène veut bien lui prêter : clignotements et variations lumineuses, bruitages inquiétants, tremblements du décor, destructions d’objets. Mais la réussite de cette mise en scène tient essentiellement à la manière dont elle opère un déplacement des signes du monstrueux vers le corps même de la victime, qui s’agite, se déforme, se détériore et s’épuise sous les yeux du spectateur pendant près de deux heures, tant et si bien que c’est finalement l’actrice qui prend en charge l’incarnation du monstre.

En s’emparant de ce film d’horreur, dans le cadre de sa pratique du found foootage, pour en tirer un court métrage expérimental intitulé Outer Space (1999), le cinéaste autrichien Peter Tscherkassky en déconstruit la représentation et matérialise à son tour la présence du monstre en la déplaçant cette fois de la diégèse vers le support filmique. Le personnage féminin y est en effet désormais agressé par les flickers (papillonnements de l’image produits par le montage), mais aussi par l’apparition des perforations de la pellicule, de la bande sonore optique et de l’interimage, rendues visibles grâce à la surimpression des photogrammes de L’Emprise sur un format de film plus large. L’entité prend alors forme dans la matière filmique même – ce qu’on peut formuler autrement : le film est devenu le monstre.

L’étude comparée de ces deux stratégies de déplacement de la représentation du monstre à partir des mêmes images permettra d’interroger les possibilités de sa figuration proprement cinématographique.

 

Biographie

Francisco Ferreira est maître de conférences en Études cinématographiques et en Littérature comparée à l’Université de Poitiers. Dans la continuité de sa thèse de doctorat (De Godard à Faulkner : l’hypothèse scripturale), son enseignement et sa recherche portent sur les relations entre l’écriture et le montage, les formes de la reprise, les figures de la disjonction et le détail.

      

Neonomicon (2010) de Jacen Burrows et Alan Moore,

ou l’adaptation du monstrueux de Howard Philips Lovecraft

  • Christophe GELLY (Université de Clermont-Ferrand 2)

 

L’œuvre de Lovecraft est célèbre pour sa propension à suggérer l’horreur sans la décrire : créateur d’un panthéon monstrueux de créatures étant censées avoir précédé la venue de l’homme sur terre et devant lui succéder, Lovecraft fonde une grande partie de sa stratégie littéraire et narrative sur l’irreprésentabilité des monstres auxquels ses personnages sont confrontés. En proposant une adaptation « libre » de l’auteur sous forme de bande dessinée — c’est-à-dire en reprenant la thématique de son œuvre sans adapter l’une de ses nouvelles particulières — le scénariste Alan Moore et l’illustrateur Jacen Burrows choisissent de renverser cette stratégie de l’irreprésentable visuel du monstre. Parce que ce médium de la bande dessinée offre la possibilité d’une lecture séquentielle « ralentie », au contraire du médium filmique par exemple, il peut aussi rendre possible un effet de sidération du lecteur par la représentation « statique » du monstre, à l’inverse aussi des textes de Lovecraft, qui se refusent à toute représentation explicite de la monstruosité. De façon tout aussi remarquable, ces deux artistes insufflent dans leur récit une dimension sexuelle notoirement absente, voire refoulée, des textes originaux. La communication proposée ici suggèrera certaines pistes de comparaison avec d’autres adaptations de Lovecraft en bande dessinée (notamment celles de Horacio Lalia et de Gou Tanabe) et s’interrogera sur deux dimensions essentielles de l’adaptation de la figure du monstre. Tout d’abord, la sexualisation de l’intrigue est-elle à interpréter comme le signe d’un nouveau rapport au monstre, représentatif d’une relecture « contemporaine » de Lovecraft, visant à brouiller définitivement les barrières entre l’humain et non humain ? Ensuite, le passage d’un médium à un autre, du texte à la bande dessinée, peut-il s’interpréter comme renouvellement de la sémiotique du monstrueux telle qu’elle se déploie dans le texte de Lovecraft lui-même ?

 

Bibliographie

Comer, Todd A. (ed. and introd.); Sommers, Joseph Michael (ed. and introd.); Di Liddo, Annalisa (afterword) Sexual Ideology in the Works of Alan Moore: Critical Essays on the Graphic Novels. Jefferson, NC: McFarland; 2012

FORESTI Guillaume, Corman, Lovecraft : la rencontre fantastique, Paris, Dreamland, 2002 

Green, Matthew J. A. (ed. and preface) Alan Moore and the Gothic Tradition. Manchester, England: Manchester UP; 2013.

GROENSTEEN Thierry, Système de la bande dessinée, Paris : Presses universitaires de France, coll. « Formes sémiotiques », 1999

—, Bande dessinée et narration, Paris : Presses universitaires de France, coll. « Formes sémiotiques », 2011

Horstkotte, Silke; Pedri, Nancy, “Focalization in Graphic Narrative; Narrative, 2011 Oct; 19 (3): 330-357

HOUELLEBECQ Michel, H.P. Lovecraft : contre le monde, contre la vie, Monaco, Editions du Rocher, 1991 

HUTCHEON Linda, A Theory of Adaptation, New York, Routledge, 2006

JOSHI S.T., The Rise and Fall of the Cthulhu Mythos, Poplar Bluff, MO, Mythos Books, 2008 
JOSHI S.T., A Subtler Magick : The Writings and Philosophy of H. P. Lovecraft, Berkeley Heights (NJ), Wildside Press, 1996

MARTIN Sean Elliot, H.P. Lovecraft and the Modernist Grotesque, Pittsburgg (PA), Duquesne University, 2008 

MENEGALDO Gilles (dir.), H.P. Lovecraft — Fantastique, mythe et modernité, Paris, Editions Dervy, 2002 

SCHULTZ David E. ; Joshi S. T. (dirs.), An Epicure in the Terrible : A Centennial Anthology of Essays in Honor of H. P. Lovecraft, Fairleigh Dickinson University Press, 1991 

SMITH Don G., H. P. Lovecraft in Popular Culture: The Works and Their Adaptations in Film, Television, Comics, Music and Games, McFarland, 2005 

 

Biographie

Christophe GELLY est Professeur au département d’anglais de l’Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand 2), et spécialisé en littérature britannique des XIXème et XXème siècles et en études filmiques. Il concentre sa recherche sur les domaines suivants : paralittérature, récit policier britannique et américain, adaptation cinématographique et théorie du cinéma. Il a publié, dirigé ou co-dirigé plusieurs ouvrages parmi lesquels : Raymond Chandler — Du roman noir au film noir (Paris, Michel Houdiard, 2009),  Le Chien des Baskerville — Poétique du roman policier chez Conan Doyle (Presses Universitaires de Lyon, 2005) et Approaches to film and reception theories / Cinéma et théories de la réception —Etudes et panorama critique, Christophe Gelly et David Roche (dirs.), Clermont- Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2012.

 

Broken Monsters (2014) : quand l’art devient monstrueux

  • Mélanie JOSEPH-VILAIN (Université de Bourgogne)

 

« L’étymologie du terme de monstre, qui a été fréquemment attribuée au verbe monstrare (qui est en fait lui-même dérivé de monstrum, donc de monere) souligne la profonde parenté entre les monstrata (êtres qui sont montrés) et les monstrantia (êtres qui montrent) ; pour être fautive, elle n’en livre pas moins une part de vérité sur le monstre, en l’inscrivant dans la problématique du regard(1). » C’est précisément cette dimension scopique du monstre à laquelle cette communication souhaite s’intéresser car il n’y a de monstre que regardé, figuré(2). 

 

Dans son dernier roman, Broken Monsters(3), Lauren Beukes met en scène une figure contemporaine de monstre, celle du tueur en série, dans un roman policier où le coupable, le « monstre de Detroit », comme il est vite surnommé, est connu dès le départ. L’objet du roman est de montrer à la fois comment les enquêteurs vont parvenir à trouver le monstre, et également, et peut-être surtout, pourquoi le monstre tue. Le tueur en série, Clayton Broom, a ceci de particulier qu’il utilise le corps de ses victimes pour en faire des œuvres d’art, elles aussi monstrueuses (« horrible artwork »)(4), qu’il cherche à rendre aussi visibles que possible (« I need people to see »(5). On s’intéressera donc au corps monstrueux des victimes et à la façon dont ils deviennent le site où s’exprime la monstruosité, à la surface, de façon  « immédiatement visible »(6). 

 

On analysera également la technique narrative de Beukes qui, en multipliant les points de vue sur le monstre (par la focalisation interne, mais aussi par une série de flashbacks qui lui permettent, par exemple, de raconter plusieurs fois le même événement à travers les yeux de personnages différents), montre la nature indécise de cette monstruosité. En effet, Broom est en fait « habité », ou « possédé », par une entité désignée comme « le rêve » (« the dream »), qui fait du corps de Broom son outil. Beukes semble ainsi revisiter la question de la dualité (corps / esprit, innocence / culpabilité) qui a façonné la figure du monstre gothique dès le dix-neuvième siècle. Il n’est pas anodin que le rêve qui habite Broom espère donner vie aux monstres qu’il crée (« They weren’t supposed to die. Nothing should die. They were supposed to change »)(7), ce qui l’inscrit dans une tradition littéraire et mythologique(8).

 

La question du genre devra donc être abordée, d’autant plus que diverses interprétations de la figure du monstre et de ses agissements sont proposées dans le roman : interprétation rationnelle de la détective, qui rattache Broken Monsters au genre policier d’une part, et interprétation irrationnelle (celle de Layla, de TK ou de Jonno, qui voient le rêve) qui tire le roman vers le fantastique. Le « monstre » ne se lit pas de la même manière selon le choix que font les personnages, et le lecteur. S’il « trouble la normalité »(9), il le fait de façon pathologique dans le premier cas, et surnaturelle dans le deuxième, ce qui pose la question de la croyance, ou de ce que Max Duperray appelle « l’inquiétante certitude »(10).

 

Mais si le titre de Broken Monsters est au pluriel, c’est aussi parce que Broom et ses victimes ne sont pas les seuls « monstres » qui sont figurés dans le roman. En effet, le personnage de Jonno, bloggueur et vidéaste, qui rend compte des agissements de Clayton sur Internet, semble être le double de celui-ci. Artiste raté, Jonno accède à la reconnaissance en devenant le porte-voix du « monstre de Detroit ». Il sera nécessaire d’analyser le commentaire que proposent les vidéos et message de Jonno sur le monstre, mais aussi de montrer comment ils transforment le jeune homme, lui aussi, en monstre, faisant de lui, peut-être, la véritable « œuvre » du monstre.

Cette communication cherchera donc à analyser comment, en démultipliant la figure du monstre, Beukes explore le lien entre monstre, monstrueux, et regard.

[1]  Anna Caiozzo et Anne-Emmanuelle Demartini, « L’histoire des monstres : question de méthode », in Monstre et imaginaire social, Paris : Creaphis, 2008, p. 14

[2] “[T]he monstrous does not lie solely in its embodiment (though this is very important) nor its location (though this is, again, vital), nor in the process(es) through which it enacts its being, but also (indeed, perhaps primarily, in its impact” (Asa Simon Mittman, « Introduction : The impact of Monsters and Monster Studies », The Ashgate Research Companion to Monsters and the Monstrous, Farnham: Ashgate, 2012, p. 7).

[3]  Cape Town : Umuzi, 2014

[4]  Id., p. 399.

[5]  Id., p. 248.

[6] Judith Halberstam emprunte cette notion de “visibilité immediate” à Jean Baudrillard (Skin Shows, Durham : Duke University Press, 1995, p. 1).

[7] Beukes, Broken Monsters, p. 407.

[8] Cf. Dominique Lecourt, Prométhée, Faust, Frankenstein. Fondements imaginaires de l’éthique. Le Plessis Robinson, Synthélabo, « Les empêcheurs de penser en rond », 1996..

[9]  Pierre Ancet, Phénoménologie des corps monstrueux, Paris : PUF, 2006, p. 15.

[10]  Max Duperray, La Folie et la méthode. Essai sur la déréalisation en littérature, Paris : L’Harmattan, 2001, p. 15.

 

Biographie

Mélanie Joseph-Vilain est maître de conférences à l’Université de Bourgogne. Spécialiste de littérature sud-africaine, elle s’intéresse aux questions de filiation littéraire : gothique postcolonial, littérature policière, réécritures postcoloniales d’œuvres occidentales. Elle a également travaillé sur les littératures nigériane et zimbabwéenne.

 

De Freaks à Decasia, de l’image du monstre à l’image monstrueuse

  • Lison JOUSTEN (Université de Liège)

 

L’intervention proposée vise à élargir la question de la monstruosité dans le cadre du cinéma, trop souvent réduite à une simple étude de motif, en confrontant Freaks (Tod Browning, 1932) à Decasia (Bill Morrison, 2002). Si au premier abord, tout semble séparer le classique hollywoodien qui fit figurer des monstres véritables à l’écran du film expérimental de found footage créé sur base d’images corrompues, l’analyse croisée des deux œuvres révèle une visée commune. Le célèbre Freaks de Browning, incontournable à plus d’un titre, est exemplaire tant au niveau des question de représentation(s) du corps – hors normes – qu’il soulève que de l’effet produit sur son spectateur. Sa mise en relation avec Decasia de Bill Morrison le révèle clairement : image du monstre et image monstrueuse demeurent liées.

 

A première vue, le film hollywoodien est assez éloigné de celui de Morrison. Réalisé près de soixante-dix ans plus tard et construit sur la base d’un matériau corrompu et malade, le projet fait état d’une disparition d’une image en déliquescence, dans le même temps qu’il s’adonne à une re-création. Dans Freaks et Decasia se jouerait pourtant quelque chose de singulier, de l’ordre d’une monstruosité cinématographique. Si le fameux film hollywoodien des années 1930 est bien connu pour avoir fait figurer des monstres véritables à l’écran, on s’aperçoit que la démarche de Bill Morrison n’est, en un sens, pas si éloignée de celle de Tod Browning : au cœur de ces deux œuvres réside un même processus d’exhibition de corps et de formes naturellement altérés, une même monstration d’une dégénérescence de l’homme et de l’image.

 

Par un glissement, un passage de Freaks à Decasia, l’intervention vise à pointer une puissance inhérente à la forme monstrueuse, qui dépasserait donc de loin la simple présence d’un motif. En présentant conjointement deux films porteurs d’une réalité monstrueuse – car c’est bien là que réside la clé de leur mystère – de nature différente mais cinématographique, l’idée est bien de révéler une force intrinsèque à ce type de formes, qui persisterait d’un film à l’autre, au-delà de leur diversité. Freaks et Decasia représenteraient deux pôles du spectre de la monstruosité, l’un s’inscrivant dans une veine classique, l’autre expérimentale ; l’un marqué par un profilmique monstrueux, l’autre par une image elle-même monstrueuse. Il n’en demeure pas moins que quelque chose de singulier, de profondément bouleversant traverse ces deux films, et que l’intervention entend explorer. Dégénérescence et exhibition, organicité et matérialité, souffrance et sacrifice, défiguration et dépassement des frontières sont autant d’aspects constitutifs des formes monstrueuses qui se verront invoquées par l’analyse croisée des deux œuvres, et qui tendent à rapprocher image du monstre et image monstrueuse, à unir les monstres dans l’art aux monstres biologiques.

 

Biographie

Lison Jousten est titulaire d’un master en arts du spectacle (ULg, 2012) et d’un master international en études cinématographiques et audiovisuelles (ULg – Paris 3 – Lille 3, 2014). Assistante à l’Université de Liège au département des Arts et Sciences de l’information et de la communication depuis 2014, ses recherches portent sur la monstruosité cinématographique.

 

Monstres humains de collection, curieuses merveilles du XVIe siècle

  • Myriam MARRACHE-GOURAUD (Université de Bretagne Occidentale)

 

Derrière un rideau du château d’Ambras, il y a un individu horriblement atrophié. À Marseille, on peut aller voir, dit-on, un hydrocéphale. Ces individus monstrueux sont bien des hommes, mais on les considère également comme des merveilles, des mirabilia, des singularités qui attisent la curiosité de tous, des amateurs comme des passionnés et des collectionneurs. Pour analyser ce qui au XVIe siècle fait le monstre, nous étudierons les monstres humains qui ont « mérité » d’être exposés comme des curiosités dans les cabinets du même nom. Nous nous intéresserons tout particulièrement à un cas qui a suscité l’interrogation de toute l’Europe savante et princière durant la deuxième moitié du XVIe siècle. Il s’agit de cette famille velue, dont l’aventure commence à la cour d’Henri II, pour passionner ensuite les princes germaniques et italiens. Les représentations iconographiques qui se multiplient, ainsi que les récits et rapports écrits, nous permettront de comprendre quels signes (iconiques et linguistiques) font de ces individus des êtres incontestablement monstrueux, et réciproquement, ce qui fait malgré tout leur paradoxale humanité. On comprendra ainsi que la frontière entre l’humain et le monstrueux est fragile, et souvent poreuse voire problématique : ainsi, les termes de « merveille » ou de « singularité », plus ouverts sémantiquement que « monstre », permettent-ils peut-être de rendre compte de l’ambiguïté consubstantielle au monstre.

 

Biographie

Myriam Marrache-Gouraud est Maître de conférences en Littérature française de la Renaissance à l'Université de Bretagne Occidentale (Brest), et membre de l’équipe HCTI (EA 4249). Dans le cadre de ses recherches sur Rabelais, elle a publié notamment Hors toute intimidation, Panurge ou la parole singulière (Genève, Droz, 2003), la Bibliographie des écrivains français consacrée à Rabelais (Rome, Memini, 2010), et Rabelais, aux confins des mondes possibles (Paris, PUF, 2011). Elle oriente également ses travaux de recherches dans le domaine de l'histoire des sciences, en consacrant différents articles et ouvrages aux cabinets de curiosités : ses travaux regroupent notamment une édition scientifique du Jardin et cabinet poétique de Paul Contant en collaboration avec Pierre Martin (Rennes, PUR-Textes rares, 2004), conception d’une exposition au Musée Sainte-Croix de Poitiers, la co-direction et la rédaction d’articles pour le catalogue d’exposition La Licorne et le bézoard (Paris, Gourcuff, 2013 ; 12 contributions personnelles). Elle participe actuellement à un ouvrage collectif sur les Objets merveilleux de la littérature (dirigé par Aurélia Gaillard, U. Bordeaux-Montaigne), après avoir contribué à un Bestiaire fantastique des voyageurs (dir. D. Lanni, Arthaud, 2014). Elle fait partie du comité scientifique d’un colloque qui se tiendra prochainement à Lyon, au Musée des Confluences, sur « Lyon et la culture de la curiosité » (voir http://curiositas.org/journees-detude-lyon-et-la-culture-de-la-curiosite).

Ses recherches s'intéressent en particulier aux modes de présentation des savoirs, spécifiquement pour étudier comment se dit le merveilleux et comment sont décrits les objets difficiles à nommer. C'est à ce titre qu'elle est actuellement webmestre du site http://curiositas.org.

 

Mythologies du métonyme ethnographique :

Vers une sémiotique du sauvage monstrueux sur les planches londoniennes

  • Fanny ROBLES (Université de Nice-Sofia Antipolis)

 

Les spectacles ethnologiques victoriens mettaient en scène des milliers de colonisés dans des zoos, cabarets, appartements privés et institutions scientifiques. L’historienne Sadiah Qureshi définit ces hommes et femmes exposés comme de véritables « métonymes ethnographiques », au sens où leur présence sur scène renvoyait à tout un réseau imagologique alimenté par la littérature de voyage des siècles précédents. Le concept de « mythe », tel qu’il est appliqué par Roland Barthes à des idées reçues de la modernité, permet par ailleurs de mieux appréhender le rôle visuel et littéraire tenu par ces « spécimens » humains. L’intérêt du mythe barthien réside en effet dans la capacité du mythe à « être lu comme un système factuel alors qu’il n’est qu’un système sémiologique », transformant ainsi les processus historiques en phénomènes « naturels ». Néanmoins, l’« essentialisme synchronique » (Saïd) du spectacle ethnologique se voit sans cesse menacé par la pression diachronique de la rencontre « réelle » du « spécimen » ethnologique et de son public, une dimension trop souvent écartée par l’emploi du terme général « zoo humain » pour qualifier l’ensemble de ces performances.

 

Notre communication se proposera d’illustrer cette approche théorique par des exemples concrets de ceux que nous nommerons « monstres ethnologiques », exhibés en raison même de leur « sauvagerie » exotique, jugée digne d’être montrée. Celle qui joue un rôle charnière entre la bête de foire et le « spécimen ethnologique » n’est autre que la célèbre Sarah Baartman, dite la « Vénus hottentote », montrée à Londres puis Paris au début du XIXe siècle. Nous nous pencherons sur les modalités de son exposition, ainsi que sur son rôle ultérieur de signe littéraire et visuel. Les différentes troupes de « Zoulous » et de « Bushmen » qui l’ont suivie, issus eux aussi d’une Afrique du Sud dont il faudra évaluer le fort potentiel mythologique, seront étudiées à l’aune de cette figure fondatrice, produits pour leur part d’une industrie du spectacle ethnologique à la mécanique désormais bien huilée. 

 

Biographie

Fanny Robles est agrégée d’anglais, Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l'université de Nice-Sofia Antipolis. Elle est l’auteur d’une thèse intitulée « Emergence littéraire et visuelle du muséum humain : Les spectacles ethnologiques à Londres, 1853-1859 », pour laquelle elle a obtenu la Mention Très Honorable avec les Félicitations du Jury à l’Unanimité et a été qualifiée aux fonctions de Maître de Conférences en sections 10 (Littératures comparées), 11 (Langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes), et 72 (Epistémologie, Histoire des sciences et des techniques) du CNU. Elle travaille actuellement sur la fonction mémorielle des spectacles ethnologiques postcoloniaux ainsi que sur la science-fiction francophone, de Jules Verne et J.-H. Rosny Aîné en particulier.

 

 

Lines of Fracture in Under the Skin (Jonathan Glazer, 2013)

  • David ROCHE (Université de Toulouse-Jean Jaurès)

 

British director Jonathan Glazer’s third feature film was generally received as a scifi/horror movie with a Bodysnatcher-type alien lurking under the monstrous character's skin. This talk will argue that the film is actually a work of the pure Fantastic in the Todorovian sense, the narrative making it impossible to determine whether the “monstrous” character is actually an alien or whether her alien identity is not, rather, a denial of a merely human deficiency. Indeed, it is highly significant that, structurally, the turning point in the narrative occurs when the female character is confronted with the very human monster she picks up, in other words when she is confronted to her double; she will then proceed to explore own reflection in the mirror before experiencing a sort of mental breakdown. The openness of the narrative, which recalls that of other contemporary puzzle films, most notably Mulholland Dr. (David Lynch, 2001), suggests that the “monstrous” character is by no means an unproblematic monster (something that rarely exists, even on the diegetic level), but a figure which calls into question the border between “human” and “monster.” The “monstrous” character is thus typical of Noël Carroll’s idea that monsters are categorically interstitial, while pointing at the limitation in Carroll’s definition since he nonetheless opposes human and monster. My talk will thus reveal how the “monstrous” character’s interstitially is bound with the fault lines in the narrative.

 

Works Cited

Carroll, Noël. The Philosophy of Horror, or Paradoxes of the Heart. New York and London: Routledge, 1990.

Roche, David. “Chapter 6: Monsters and Masks.” Making and Remaking Horror in the 1970s and 2000s. Jackson, MS: UP of Mississippi, 2014. 154-87.

Todorov, Tzvetan. Introduction à la littérature fantastique. Paris: Seuil, 1970.

 

Biographie

David Roche is Professor of Film Studies at the Université Toulouse Jean Jaurès. He is the author of Making and Remaking Horror in the 1970s and 2000s (2014) and the co-editor of Bande dessinée et adaptation (with Benoît Mitaine and Isabelle Schmitt, 2015), De l'intime dans le cinéma anglophone (with Isabelle Schmitt, 2015) and Intimacy in Cinema (with Isabelle Schmitt, 2014). He has published articles on horror cinema and Darren Aronofsky, Tim Burton, David Cronenberg, Atom Egoyan, Jim Jarmusch, Emir Kusturica, Sergio Leone, David Lynch and Quentin Tarantino.

 

 

 

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